La victime d'inceste peut obtenir l'indemnisation de son préjudice devant la CIVI après l'expiration du délai de forclusion
par Pierre Donguy le 22/05/2024
La victime de faits d’agressions sexuelles ou de viols est recevable à solliciter l’indemnisation de son préjudice devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI), sous des conditions de délais fixés par l’article 706-5 du Code de Procédure Pénale, qui dispose :
« A peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction. Lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive.
Toutefois, la commission relève le requérant de la forclusion lorsque l'information prévue à l'article 706-15 n'a pas été donnée, lorsque le requérant n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime. Lorsque l'infraction est commise à l'encontre d'un mineur, le délai de forclusion ne court qu'à compter de la majorité de ce dernier.
Lorsqu'une décision d'une juridiction répressive a alloué des dommages et intérêts à la victime et que la demande est jugée irrecevable, le délai prévu au deuxième alinéa de l'article 706-15-2 ne court qu'à compter de la notification de la décision de la commission. »
Par principe, la victime doit donc saisir la CIVI dans le délai de 3 ans à compter de la date de l’infraction, ou dans le délai d’1 an à compter d’une décision pénale définitive.
Il est néanmoins fréquent que les victimes d’agressions sexuelles ou de viols, notamment dans un cadre incestueux, ne révèlent les faits que tardivement.
Dans l’hypothèse où cette révélation n’entrainerait pas de décision pénale (un classement sans suite n’est pas considéré comme tel), la victime est susceptible de se heurter au délai de forclusion précité.
La victime n’a alors d’autre possibilité que de solliciter le relevé de forclusion, en arguant d’un motif légitime.
Laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond, le motif légitime est aujourd’hui défini en jurisprudence comme le très jeune âge de la victime à l’époque des faits et la difficulté à prendre conscience des faits subis (Rennes, 5ème ch., 24 avril 2014, n°12/07317) ; le contexte familial associé à la crainte de représailles ou à l’autorité moral de l’auteur, lesquels doivent être prouvés (Dijon, 1ère ch. civ., 23 février 2021, n°19/01669) ; ou encore la minorité de la victime et la carence du représentant légal (Civ. 2ème, 15 février 2024, n°22-18.728).
Ce motif légitime est néanmoins apprécié avec une certaine rigueur par les commissions d’indemnisations des victimes d’infractions.
De nombreuses victimes ont notamment vu leurs demandes de relevé de forclusion rejetées, les juridictions excluant le traumatisme induit par les faits de nature sexuelle comme motif légitime au sens de l’article 706-5 du code de procédure pénale (Rouen 13 mars 2015, n° 14/03060, Bordeaux 17 sept. 2020, n° 19/04151).
Saisie par notre cabinet, la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions près le Tribunal Judiciaire de Grenoble a adopté, par décision du 11 avril dernier, une interprétation du « motif légitime » favorable aux droits des victimes de viols incestueux.
En l’espèce, la requérante, née en 1997, est adoptée très jeune par le cousin de sa défunte mère.
Entre 2006 et 2009, elle est victime de nombreuses agressions sexuelles et viols de la part du fils de ce dernier, jeune mineur au moment des faits.
En janvier 2021, majeure depuis 2 ans, la requérante trouvera le courage de porter plainte à l’encontre de son cousin pour agressions sexuelles et viol sur mineur.
Celle-ci était avisée du classement sans suite de sa plainte le 14 février 2023, en raison de l’irresponsabilité pénale du mineur auteur.
Elle saisissait la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions en juillet de la même année.
Le Fonds de Garantie s’opposait à l’indemnisation de la requérante en relevant la forclusion de son action, et l’absence de tout motif légitime.
Notre cabinet sollicitait le relevé de la forclusion compte tenu de la particularité des faits commis dans le huis clos familial et de l’isolement dont elle a fait l’objet au sein de sa famille d’adoption.
La Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions faisait droit à l’intégralité des demandes de la requérante en retenant que « « ( …) malgré un dépassement important du délai de trois ans, la durée de l’enquête, la nature grave et incestueuse des faits constituent des motifs légitimes pour relever Mme X de la forclusion de l’action devant la présente commission. »
Zoé MORETTI, juriste